Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
Parution le 7 Novembre 2024
1584 pages, ill., Prix de lancement 72.00 € jusqu'au 31 12 2024
Aragon est mort depuis quatre ans quand paraît chez Gallimard, en un fort volume de la collection Blanche, La Défense de l'infini. C'est un livre inventé (au sens étymologique, bien sûr) par son éditeur, Édouard Ruiz, un titre fantôme dans la bibliographie d'Aragon, le splendide reliquat d'un roman que l'on croyait perdu, entièrement.
Dans Le Journal de Genève des 1er et 2 août, cet avertissement: «Tremble, lecteur, car voici venir, debout, cinglant sur les tempêtes, les durs Vikings aux bras d’acier et aux tignasses de feu ! Ils se dressent sur leurs hauts navires aux proues diaboliques, armés de haches, de coutelas, de javelines et de lances à crocs.»
Claude Lévi-Strauss va avoir quatre-vingts ans quand paraît aux Éditions Odile Jacob De près et de loin, recueil de ses entretiens avec Didier Éribon. Après un prologue inquiétant (il y parle de sa «mémoire ravageuse, autodestructrice»), mais démenti par ce qui suit, le volume se compose de trois parties.
Le 4 septembre, Georges Simenon meurt à Lausanne. De la fin de sa vie privée il y a peu à dire. Ennuis de santé. Promenades au bord du lac. En 1984, une grave opération. Son état se dégrade à partir de 1987. En 1989, il ne marche plus. Il ne parle presque plus.
Cette œuvre est-elle à sa place dans la collection qui l’accueille ? Une fois n’est pas coutume, l’Introduction pose la question. «Longtemps il aurait semblé incongru qu’une collection telle que la Bibliothèque de la Pléiade accueillît des textes dont toute prétention à la littérature paraissait illégitime. Un ostracisme identique frappait l’auteur et son œuvre, le premier comme débauché capable des pires excès, la seconde comme incitation à des violences similaires.» Elle s’ouvrait d’ailleurs, cette Introduction, sur la citation d’un Dictionnaire des lettres françaises de 1960 qui, tout en déplorant la vogue «momentanée» dont jouissait alors cette œuvre, estimait qu’elle relevait moins de la littérature que des études pathologiques et qu’elle ne s’adressait pas tant à des lecteurs qu’à «des spécialistes ou des curieux».
Dans L’Amant, cette phrase, entre deux lignes de blanc : «J’ai beaucoup écrit de ces gens de ma famille, mais tandis que je le faisais ils vivaient encore, la mère et les frères, et j’ai écrit autour d’eux, autour de ces choses sans aller jusqu’à elles.» Marguerite Duras l’a dit plusieurs fois : que ce soit dans Un barrage contre le Pacifique en 1950, dans L’Éden Cinéma en 1977 ou ailleurs, elle n’a pas tout raconté. Comment, dès lors, ne pas imaginer en lisant ces lignes isolées, mises en évidence, que cette fois, en 1984, tout est dit ?