Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
M. Bergeret à Paris paraît chez Calmann-Lévy le 6 février. Le livre se compose de textes d’abord parus dans la presse, dans L’Écho de Paris pour ce qui deviendra le chapitre I, puis, après que L’Écho eut commencé à soutenir l’antidreyfusisme, dans Le Figaro, entre le 5 juillet 1899 et le 26 septembre 1900. La comparaison entre ces publications «à chaud» et le texte de 1901 témoigne de l’évolution de la pensée de France au fil des événements.
Le 20 mai sort des presses un petit ouvrage de 260 pages, tiré à trois cents exemplaires sur vergé d’Arches. Il paraît sous une élégante couverture bleue, inspirée de celle du Faust traduit par Nerval. Pourquoi un tirage si limité? «Pour me dissimuler un tout petit peu ma mévente», notait l’auteur dans son Journal en janvier; «Tirant à douze cents, elle me paraîtrait quatre fois pire; j’en souffrirais quatre fois plus.»
Le 19 juillet est un dimanche. La Dépêche de Rouen et de Normandie, qui a été créée le 1er du mois, fait paraître son numéro 19; il se vend 5 centimes.
En «rez-de-chaussée», un feuilleton, L’Or et le Callaïs, épisodes de paix et de guerre aux temps celtiques, par Camille Pert, pseudonyme qui dissimule Mme Rougeul, née Louise-Hortense Grille, et futur auteur de Lucie, jolie fille. Dans cette livraison, le druide Édructère explique à la belle Adéa comment il convient de traiter le commun des mortels, «cette foule, que nous voulons ignorante et grossière, parce que la science deviendrait néfaste, connue et interprétée par son âme inférieure, il lui faut pour la maîtriser, et nous la soumettre, les superstitions et les mômeries, le culte et la figuration extérieure qui l’étonnent…»
La banque qui emploie Wilhelm de Kostrowitzky est en pleine déconfiture. Qu’à cela ne tienne: il faut un rédacteur en chef au Guide des rentiers; le jeune homme, à qui l’on ne connaît aucune compétence boursière, s’empare du poste.
Kostrowitzky, dit «Kostro», dirige déjà une revue, mais sous un autre nom et dans un autre genre. En octobre 1903, il a fondé avec quelques amis Le Festin d’Ésope, revue des belles-lettres; il y publie des écrivains comme Paul Géraldy, John-Antoine Nau ou Alfred Jarry. La revue est installée chez l’un de ses fondateurs, André Salmon, qui loue une chambre rue Saint-Jacques. Kostro la diffuse lui-même, en fiacre, de librairie en librairie. À l’occasion, il y fait paraître ses propres poèmes — en janvier 1904, par exemple, «La Synagogue» et «Les Femmes». Il signe Guillaume Apollinaire. C’est dans cette petite revue que paraît, à partir de mars, une œuvre qu’André Breton considérera comme «l’un des plus admirables livres d’Apollinaire»: L’Enchanteur pourrissant.
Un village. Une jeune fille, Aline. Elle aime Julien Damon, dont la famille a du bien. Julien l’abandonne alors qu’elle est enceinte de lui. L’enfant naît. Julien est fiancé ailleurs. Aline tue son enfant et se donne la mort.
Telle est l’intrigue du livre qui paraît dans les derniers jours d’avril à la Librairie académique Didier, Perrin et Cie (Paris) et chez Payot (Lausanne). Il est dédié à Édouard Rod, à qui l’auteur avait envoyé une première version de son manuscrit en septembre 1904: «Voici la petite “histoire” annoncée. Je n’ose pas appeler cela un roman.» C’est d’ailleurs le mot «histoire» qui figure sous le titre, mais Aline, histoire est bien le premier roman du Vaudois C. F. Ramuz.
La pièce avance vite. Claudel pense pouvoir l’achever en deux mois. Il lui faudra en réalité un peu plus de temps, mais il n’empêche: comme il le dit lui-même, «C’est un record pour moi». Un double record, pour être précis: de vitesse, et de lenteur; c’est en 1948 seulement que Partage de Midi sera représentée et livrée au public.