La Pléaide

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Leiris
L'actualité de la Pléiade

Michel Leiris, Projet inédit de prière d’insérer pour L’Âge d’homme (1935).

1er octobre 2014

J’ai commencé d’écrire ce livre il y a cinq ans, en décembre 1930, peu avant un voyage de vingt et un mois en Afrique. Il s’agissait alors d’une simple confession (liquider en les formulant un certain nombre de choses dont le poids m’oppressait), à propos d’un tableau de Cranach de la Galerie de peinture de Dresde représentant Lucrèce et Judith. Le titre primitif, inspiré directement de ce tableau, était Lucrèce, Judith et Holopherne, Lucrèce et Judith se rapportant à deux aspects de l’éternel féminin qui me semblaient avoir une réalité pour moi, Holopherne à moi-même. Mais trop de choses se trouvaient impliquées dans un pareil dessin et j’ai été amené peu à peu, dépassant le domaine de la sexualité pure (dans lequel je m’étais
tout d’abord confi né), à en faire un raccourci de mémoires, une vue panoramique de tout un côté de ma vie.

Bien que les faits relatés soient véridiques et que tous les symboles mis en œuvre, jusqu’aux moindres, répondent à quelque chose de réel, il ne s’agit pas à proprement parler d’une autobiographie. Je n’ai guère tenu compte, en effet, de l’ordre chronologique, tentant surtout de défi nir certains thèmes — qui correspondent aux titres, et parfois sous-titres, de chapitres — autour desquels les éléments se groupent, envisagés en fonction de ces thèmes et
n’ayant de valeur que par rapport à eux, comme s’il s’agissait d’une sorte de photo-montage destiné à mettre en évidence certaines idées qui, dans chaque partie prise indépendamment, n’apparaissent pas dès le principe.

J’estime avoir fait en cela oeuvre à la fois psychologique et esthétique. D’une part, c’est grâce à un tel classement, à de tels séparations et rapprochements, que les éléments prennent leur plein sens et que les attitudes en jeu deviennent claires pour moi. D’autre part, cette répartition de la masse des éléments en plusieurs thèmes distincts, leur organisation dans le cadre de chacun de ces thèmes jouent le même rôle que la composition dans un poème en plusieurs chants ou un roman.

Je pourrais comparer ce qu’est pour moi un tel ouvrage à ce que représentait à mes yeux, avant que j’eusse sept ans, le rosaire qui pendait à la tête de mon lit : le monde abrégé en dizaines (avec un grain plus gros séparant les dizaines et la croix au bout) susceptible d’être tenu dans la main ; ou encore la nature végétale contenue entière dans mon jardin sous forme de pois de senteur, capucines, gueules de loup ; ou bien encore le signe étrange que je
m’émerveillais de découvrir dans la coupe des tiges de fougère et qui me semblait, vrai sceau de Salomon, condenser tout mon univers.

Pour titre définitif j’ai choisi L’Âge d’homme parce qu’il me semble que le sujet devrait pouvoir se résumer ainsi : comment l’auteur, à partir du chaos miraculeux de l’enfance, passe tant bien que mal (et plutôt mal que bien) à l’ordre cruel de la virilité.

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