Au seul souvenir de ta louange, mon Seigneur, mon coeur se liquéfie, ma sensibilité est stupéfaite, ma raison s’étonne, les paroles me manquent et, recueilli en moi-même, je pousse de profonds soupirs. En effet, je découvre en moi un désir ineffable de te louer, toi le souverain bien : il dépasse toute aptitude naturelle et je déplore mon impossibilité de lui donner forme. Car si je veux te comparer aux intelligences ou aux créatures intellectuelles, je découvre de la façon la plus certaine que tu dépasses infiniment toutes les créatures. Si je considère des réalités bonnes et douces, belles et agréables, je sais très véritablement que tu es ineffablement plus agréable que toutes ces réalités, mieux — ce qui est encore supérieur —, que tu es spirituellement et essentiellement toutes ces réalités.
Il est une chose que je veux dire et qui se produit en moi à cette occasion : lorsque de belles formes, agréables à voir et faciles à aimer, se présentent parfois spontanément aux yeux de l’esprit ou même du corps, soudain ces paroles se font entendre à mon cœur, à voix haute mais intérieure : « Observe donc et remarque à quel point est beau celui qui m’a faite belle ! Qui est-il, demandes-tu ? C’est sans conteste l’être le plus beau. » Enfin, je visite le ciel en méditant avec curiosité, je parcours la terre, j’observe le pôle arctique, je scrute les abîmes marins, je considère ce monde avec ses agréments, j’admire les bois remarquables par leur feuillage, j’observe les prés verdoyants et ornés de fleurs multicolores, je traverse les champs, je gravis les montagnes, je franchis les collines et parcours les vallées, et lorsque je considère toutes ces réalités et que j’observe chacune d’entre elles, elles embrasent toutes mon cœur en un doux concert et en un accord parfait à la louange du créateur.
Lorsque je considère attentivement, selon un calme examen, de quelle manière très belle et excellente tu ordonnes, ô toi la Sagesse divine, toutes les créatures, bonnes et mauvaises, justes et injustes,
au point de ne rien laisser en désordre dans l’univers, toi qui disposes ton oeuvre en la créant si bien que, par sa sagesse, l’œuvre de la nature semble comme une œuvre de l’intelligence, toi qui as entouré toutes choses de lois certaines et as fixé des bornes à chacune, qui disposes de nous avec un grand respect, alors je commence à exulter violemment et suis forcé de faire éclater ces paroles de gratitude : « Toutes les œuvres du Seigneur sont vraiment bonnes. » De plus, lorsque je commence à les dépasser, et que je songe que toi, le souverain bien, la Sagesse incréée et éternelle, l’unique élue de mon cœur par dessus tous, tu es mon épouse et mon amie, je perds l’esprit de stupeur et d’extase, et défaillant tout entier en moi, j’exulte puissamment en toi. Regarde donc maintenant, mon Seigneur, l’affection principale de mon cœur, apprends-moi à te louer et à glorifier ton nom glorieux, car c’est ce que je désire et recherche plus que toutes les joies de ce monde.
Traduit du latin par Cédric Giraud.