La Pléaide

1954

En février, il déclare à ses proches : «Ça y est, j'en ai fini !» Et à son fils Philippe : «Ç'aura été un énorme travail.» C'est sa fille Élisabeth qui tape le manuscrit.
Le 22 avril, il écrit à l'éditeur Robert Laffont : «je suis assuré que votre excellente maison aurait apporté à sa publication les soins les plus actifs et les plus précieux. Si, en définitive, et après maintes réflexions, je ne crois pas devoir vous demander de vous en charger, c'est en raison de la nature spécialement “historique” de l'ouvrage.»

Le 4 mai, à Étienne Repessé, des Éditions Berger-Levrault : «Si je vous ai fait de la peine, soyez sûr que je serais plus chagriné que vous. Il est de fait qu'après beaucoup de réflexions, j'ai cru devoir charger Plon du premier volume de mes Mémoires. Oui, en raison du caractère “historique” de l'ouvrage (je veux dire qu'il se rapporte à l'Histoire), et aussi en vertu d'une espèce de conformisme qui m'oblige à tenir compte des précédents (Poincaré, Clemenceau, Joffre, Foch, Churchill, etc.).»

Les quatre premiers exemplaires du livre sont destinés, dans l'ordre, au pape, au comte de Paris, au président de la République, à la reine d'Angleterre. Quant à l'édition pour simples mortels, elle paraît le 22 octobre.

Le Monde (É. Henriot) en rend compte dès le lendemain : si l'auteur «n'était pas le personnage historique qu'il est devenu, ce serait simplement un très remarquable écrivain». Le 28, c'est au tour de Combat (P. de Boisdeffre) : «L'écrivain rejoint les plus grands, égal à son prodigieux destin», et de France-Observateur (R. Stéphane) : «L'œuvre a une beauté, recèle une sorte de grandeur, a des éclats que le plus malveillant des critiques ne saurait nier.» Dans le Figaro littéraire du 30, André Rousseaux parle d'« un héroïque épisode raconté par un écrivain de grande classe ». Et Jean Mauduit, le 5 novembre, dans Témoignage chrétien : «Un Tacite, un César, un Retz […]. Voilà bien de grands ancêtres, n'est-il pas vrai ? De Gaulle en est digne.»

Car c'est L'Appel, premier volume des Mémoires de guerre du général de Gaulle, qui vient de paraître. La presse n'en néglige pas la portée historique, mais, significativement, l'attention se porte en premier lieu sur ses qualités littéraires : c'est que, contrairement à ce que prétend un Georges Duhamel lyrique et un tantinet obséquieux au cours de l'entretien qu'il a avec le Général à la fin d'octobre, un grand homme n'est pas forcément un grand écrivain. Or — Mauriac l'a bien vu —, «le général de Gaulle a le style de son destin, un style accordé à l'histoire. Ne croyons pas que cela soit commun : il n'est que de lire les autres. Le général de Gaulle les a laissé se vider de leur encre !» (Bloc-notes, 11 octobre.)

Au-delà du torrent d'éloges dans lequel il noie son prestigieux interlocuteur, Duhamel rappelle aussi, cette fois avec raison, que les écrivains authentiques ne sont pas ceux qui font preuve de la plus grande facilité. Quelque quarante-six ans plus tard, lorsque la Pléiade publiera les Mémoires, on apprendra que pour mettre au point chaque chapitre l'auteur a eu besoin d'au moins deux versions manuscrites et deux versions dactylographiées, chaque dactylogramme étant ultérieurement revu et corrigé. C'est à ce prix qu'il est devenu, selon la formule d'un Claude Roy peu suspect de complaisance à son égard, l'«un des grands écrivains latins de langue française».

Auteur(s) associé(s)