Ce dernier volume des Œuvres d'Anatole France réunit celles qui, sans doute, nous intéressent le plus directement. Les suites de l'Affaire Dreyfus laissent Anatole France amer : comme le proclamait déjà Ronsard, l'homme se déçoit. On sent
France questionnant : l'humanité a-t-elle encore un destin? Pressentant la guerre qui vient, l'auteur cherche la fiction de notre avenir à
travers le passé. Ainsi L'Île des Pingouins propose le tableau caricatural d'une histoire qui anticipe un rêve fou, celui de la fission de la matière détruisant toute civilisation. L'histoire – pour parodier Hegel – est un néant qui s'anéantise ou un dieu qui s'autodétruit ; sans fin, elle recommence de zéro. Les dieux ont soif, ce n'est pas seulement l'évocation de la Terreur, c'est une réflexion sur le pouvoir politique toujours menacé de tomber dans le totalitarisme. Même cri d'alarme
dans La Révolte des anges, «sotie» qui met en figures les rapports de l'éthique et de la politique. Dans les œuvres d'après-guerre, autobiographiques – Le Petit Pierre et La Vie en fleur – France se penche avec nostalgie sur un passé que le présent menace «si la raison n'entre en ses conseils». Persuadé cependant que l'art est notre seul recours contre la noire mélancolie, France donne à ses dernières œuvres une tournure ironique et tendre, jamais pesante ni trop pathétique. À la fois témoin d'un autre âge, resté sur le seuil de la modernité, ce dernier France nous touche par ce qu'il a soupçonné, sans peut-être oser se l'avouer : tout recours à la fiction est le travail du deuil des dieux que nous avons perdus.