Le 21 juin 1936, André Gide évoque la mémoire de Gorki sur la place Rouge, à Moscou : «La mort de Maxime Gorki n'assombrit pas seulement les États soviétiques, mais le monde entier.» Près de soixante-dix ans plus tard, «le monde entier» aurait tendance à voir en Gorki un porte-drapeau (rouge) plutôt qu'un écrivain universel. L'image du président de la «Société des écrivains soviétiques» pèse sans doute plus lourd que son œuvre. C'est par un retour à cette œuvre – celle d'un des meilleurs prosateurs de la langue russe – que Gorki remontera la pente que l'Histoire lui a fait descendre. «Vous sentez excellemment», écrivait Tchékhov au jeune Gorki, «vous avez le sens de la plastique, c'est-à-dire que, quand vous représentez un objet, vous le voyez et le palpez !» Les textes ici rassemblés sont de ceux qui corroborent ce jugement. Non pas les romans à thèse, mais les récits où les vérités n'ont pas cédé la place aux mensonges exaltants. Où les personnages ne sont pas des «types» censés «rendre les hommes meilleurs», mais de petites gens venues des «bas-fonds», parfois des hors-la-loi, pittoresques, complexes, humains – en un mot : vrais. Peu d'analyse, pas d'introspection : un climat, une peinture extraordinairement évocatrice, un lyrisme contenu, une ironie légère. Une langue dont la souplesse, la variété, la précision soumettent le traducteur à rude épreuve. Encore falllait-il la tenter, cette épreuve. La redécouverte de Gorki passait par une réinterprétation : toutes les traductions proposées ici sont donc nouvelles. Loin d'«unifier», elles respectent la tonalité de chaque récit. Oublié le porte-drapeau, voici, rendu à sa polychromie et à sa complexité, l'écrivain.