Mon petit Gunimuls Je vous remerki beaucoup de votre petite lettre, la plus gentille que j'aie jamais reçu de Guninuls et qui m'a fait beaucoup pleurser. Je vous avais fait un joli petit pastiche de Pelléas. Mais je suis un peu fastiné pour vous le Kospier, c'est Pelléas (Guninuls) et Markel qui sortent de soirée et qui ne peuvent retrouver leur chaspeau. Je vous cite des petits funninelseries de ce pastiche mais il n'est genstil qu'en bloc. (Il faut chanster en même temps.)
PELLÉAS (dans l'antichambre) : II faisait là-dedans une atmosphère lourde et empoisonnée, et maintenant – tout l'air de toute la Terre ! – (Très doux :) On dirait que ma tête commence à avoir froid pour toujours.
MARKEL : Vous avez, Pelléas, le visage grave et plein de larmes de ceux qui se sont enrhumés pour longtemps. Ne cherchez plus ainsi. Vous ne le retrouverez jamais. On ne retrouve jamais rien – ici. – Mais comment était-il ?
PELLÉAS : C'était un pauvre petit chaspeau, comme en porte tout le monde ! On n'aurait pas pu dire de chez qui il venait. Il avait l'air de venir du bout du monde. Quel est ce bruit ?
MARKEL : Ce sont les voitures qui s'en vont.
PELLÉAS : Pourquoi s'en vont-elles ?
MARKEL : Nous les aurons effrayées. Elles auront su que nous nous en allions très loin, elles ont eu peur et elles sont parties. Elles ne reviendront pas.
Tu comprends mon Buninuls ils vont revenir sans chapeau et sans voiture, c’est embêtant. […]
Marcel Proust, cependant, resta toujours avec Debussy en relations rapides, mais largement courtoises. On sait combien il était sociable. Même, un soir, il le reconduisit jusqu'à domicile dans l'éternel « sapin» qui l'attendait devant la porte. De quoi tous deux gardèrent bonne impression, mais sous réserves. Proust s'était senti mal écouté, mal suivi dans ses enlacements de pensées, dans ses subtilités et ses profondeurs ; Debussy le trouvait longuet, historiant, amenuisant, un peu « portière ». Il faut signaler qu'à l'époque Proust ne s'était encore guère produit que par un charmant volume de fantaisies illustré par Madeleine Lemaire (cela n'étant point pour lui valoir les faveurs de son interlocuteur momentané qui n'aimait guère ces tableaux de fleurs trop « parlantes » et trop peu « pensantes », qui, de plus, haïssait les réceptions mondaines ; nul n'ignore que celles de Mme Lemaire étaient fameuses) et que, sauf les charmes de son entretien, rien en ce Proust ne laissait alors prévoir l'homme étonnant qu'il manifesterait un jour. Il convia même Claude à une réunion qu'il organiserait chez lui en son honneur avec quelques amis intéressants, artistes ou gens de la meilleure compagnie ; mais Claude se récusa très simplement. – Vous savez, moi, je suis un ours. J'aime mieux nous revoir encore au café. Ne m'en veuillez pas, cher monsieur, c'est de naissance !
Neuf jours à Bruges.
À l'imprimerie de Verbeke pour corriger les épreuves de L'Otage, de La Mère et l'Enfant, d'Isabelle, de Corydon et du numéro de juin de la revue.
Le numéro paraît avec les Éloges de Saint-Léger, noirs de fautes. L'aventure me rend malade et j'imagine, pour en divertir ma pensée, ce qui put se passer lors d'une première exécution de Debussy :
Le chef d'orchestre attachait une grande importance à cette musique ; il avait contre lui malheureusement le directeur du théâtre et l'organisateur des concerts ; du moins ceux-ci ne l'approuvaient-ils pas, de sorte qu'il eut à lutter dès l'abord pour faire admettre le nouveau morceau à son programme.
Il savait de reste qu'il allait mécontenter son public, mais il se faisait fier de préférer plaire à l'artiste et à lui-même ; au demeurant il sentait qu'il ne s'était fait chef d'orchestre que pour cela – c'est-à-dire pour inviter à se produire, à côté des harmonies les plus classiques, les harmonies les plus nouvelles.
Debussy, lui, qui craignait une exécution imparfaite, eût préféré ne pas se laisser entendre ; il fallut pour le décider l'insistance du chef d'orchestre et la pression de quelques rares amis. Une fâcheuse précaution qu'avait cru bon de prendre Debussy, fit que l'on attendit longtemps les parties, et que l'on ne put répéter avec les autres ce morceau, difficile entre tous à cause de sa nouveauté. Les exécutants arrivèrent tout neufs devant leurs feuilles le jour du concert, et jouèrent en dépit du bon sens. Le chef d'orchestre se sentait le plus beau courage pour lutter contre l'animosité du public, mais non point pour trahir un musicien qu'il aimait, qui sifflait avec le public et avait raison de siffler. Il eût voulu siffler lui-même, puis expliquer. Quelqu'un lui dit à la sortie, alors qu'il essayait une explication, une excuse : « Avec une musique comme celle-là, qu'importe une note au lieu d'une autre ? Cela prouve simplement que vous avez eu tort de la mettre à votre programme ; elle méritait une pareille exécution que pour ma part j'avoue n'avoir pas trouvée si mauvaise. » Voici qui mit le comble au désespoir du chef d'orchestre ; il tomba malade le soir même ; le lendemain avala son bâton de chef et mourut.
Mettre entre soi et le monde une barrière de simplicité. Rien ne les déroute plus que le naturel.
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