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Le prix Nobel de littérature 2022 est décerné à Annie Ernau

Le prix Nobel de littérature 2022 est décerné à Annie Ernau

Le prix Nobel de littérature 2022 est décerné à Annie Ernaux

LES ARMOIRES VIDES, 1974

Ernaux 1

Denise Lesur vient d'avorter. À l'époque, en 1963, c'est interdit, très risqué pour la santé et mal vu par la société. Seule dans sa chambre d'étudiante, elle repense à son enfance heureuse dans le modeste café-épicerie de ses parents. Elle est en train d’abandonner ce milieu populaire étouffant, mais elle reste habitée par des sentiments de honte et de trahison.  

Salué par une journaliste du Monde comme une « révélation de printemps », ce premier roman d'une inconnue est peu commenté par la critique. Il éveille pourtant la curiosité des lecteurs d’une époque où l’avortement est encore un tabou, un an avant d’être légalisé (1975), sinon accepté socialement.

CE QU'ILS DISENT OU RIEN, 1977

Ernaux 2

Anne, bientôt seize ans, ne supporte plus ses parents, leur petite vie étriquée, leur contrôle permanent. L’été n’en finit pas de s’étirer, entre désarrois d’adolescente et ruses pour fuguer certains après-midis avec son amie Gabrielle jusqu’à la colonie de vacances. La « première fois » tant désirée avec un des moniteurs, Mathieu, finira de briser ses rêves d’émancipation et ses illusions.

Ce second roman passe plutôt inaperçu auprès de la critique, mis à part pour le journal Le Monde qui continue à suivre le travail d’Annie Ernaux.

Le livre est sélectionné pour le Prix Goncourt 1977 et il reçoit le Prix d'honneur du roman.

LA FEMME GELEE, 1981

Ernaux 3

L’autrice, professeure de littérature discrète, femme de cadre et mère de deux enfants, décrit les pièges du mariage bourgeois. La femme éduquée et installée qu'elle est devenue comprend que devenir "femme de", c'est surtout devoir renoncer à sa liberté et à ses aspirations.

Sur la lancée des mouvements féministes militants nés dans les années 1960, Annie Ernaux dénonce la domination masculine et le patriarcat. Les magazines féminins font découvrir à des lectrices de plus en plus nombreuses ce troisième livre d’une femme qui écrit à la première personne pour relater une expérience largement partagée.

LA PLACE, 1984

Ernaux 4

Dans ce récit « né de la douleur d’avoir perdu son père », l'écrivain dresse le portrait d'un ancien ouvrier devenu, sans vraiment se sentir à sa place, "patron" d'un café-épicerie en marge d'une petite ville de Normandie. Une ascension sociale qui est aussi décrite comme une aliénation. Quelle place cet homme avait-il entre sa femme et sa fille ? Quelle place la société lui a-t-elle accordée ?

Accueilli par un concert de louanges de tous bords, La Place obtient le prestigieux prix Renaudot 1984. Ce succès marque un tournant dans la carrière littéraire d’Annie Ernaux.

Le texte sera bientôt étudié à l’école. Il deviendra par la suite un grand succès de traduction grâce à l'universalité du thème de la relation père/fille et celui de « transfuge de classe » mis en évidence par ce récit autobiographique.

Annie Ernaux est davantage sensible aux retours extraordinaires recueillis lors des signatures publiques : « Beaucoup de lecteurs me disaient “Vous avez raconté mon histoire”. »

UNE FEMME, 1988

Ernaux 5

Issue d'une famille nombreuse et sortie de l'école à douze ans, elle était devenue cette femme énergique qui régnait sur le petit commerce acheté à crédit dans l'immédiat après-guerre.

Et elle rêvait pour elle, mais surtout pour sa fille unique, « d'évoluer ».  À la fin de ce récit d'hommage à sa mère disparue, Annie Ernaux écrit : « Ceci n'est pas une biographie, ni un roman naturellement, peut-être quelque chose entre la littérature, la sociologie et l'histoire ».

À la croisée des genres littéraires, ce récit à la fois personnel et universel reçoit un excellent accueil de la part des professionnels de la critique comme du public populaire. Il devient très vite un best-seller dans le sillage de La Place.

PASSION SIMPLE, 1992

Ernaux 6

Passion simple relate la passion charnelle d'une femme de cinquante ans pour son amant, un diplomate marié, originaire d'un pays de l'Est. Cet intermède sentimental éphémère est décrit au jour le jour dans une langue crue, sans effets narratifs ou distance introspective : « À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus fait rien d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone ou qu'il vienne chez moi. »

Plébiscité par les lecteurs comme par les lectrices, le livre restera longtemps au Top 3 des classements établis par des journaux et magazines aux lectorats très divers. A côté de ce succès public fulgurant, la critique se divise. Les détracteurs se déchainent sur un texte jugé indigne « de la littérature » : « le lecteur se demande soudain si un texte de la collection Harlequin ne s'est pas égaré sous la sobre couverture de la NRF. » (Figaro Madame).

Récit adapté au cinéma (2011) par Danielle Arbid avec Lætitia Dosch et Serguei Polunin.

JOURNAL DU DEHORS, 1993

Ernaux 7

« Ce texte est fait de fragments, d'éclats de réalité. De 1985 à 1992, j'ai eu envie de transcrire, de façon très irrégulière, ce que j'avais vu, entendu, dans cet au-dehors qui fait partie de ma vie, dans ces lieux où je vis : la ville nouvelle, le supermarché, le R.E.R. »

Annie Ernaux s’attache dans ce journal à écrire la vie à partir d’objets jusqu’ici dédaignés par la littérature, prenant à rebrousse-poil une certaine critique officielle qui, depuis la publication de Passion simple, semble l’avoir exclue du domaine littéraire autorisé.

LA HONTE, 1997

Ernaux 8

À douze ans, elle ne connait rien d’autre qu’un monde borné par sa famille, l’école privée catholique où elle excelle sans s’y faire d’amies et sa petite ville d’où elle ne sortira que pour un voyage à Lourde. Une éducation aux règles strictes et impossibles à mettre en doute. Jusqu’à cet épisode de violence de son père envers sa mère, qui lui fait voir soudainement tout son milieu avec le regard dépréciatif des « autres ». Percevoir les jugements de classe lui fait éprouver une honte sociale. Cette sensation de honte qui ne l’a plus jamais quittée, c’est ce « qui unit la fille de 52 à la femme en train d’écrire ».

Vingt ans après Les armoires vides, l’écrivain décrit à nouveau ce monde en inventoriant très concrètement les mécanismes de la « honte sociale ». La honte est le récit autobiographique qui a contribué à populariser pour de nombreux lecteurs et lectrices un concept issu de la sociologie.

JE NE SUIS PAS SORTIE DE MA NUIT, 1997

Ernaux 9

Annie Ernaux décrit ici une déchéance, celle de sa mère atteinte la maladie d’Alzheimer : « Ce n'était plus la femme que j'avais toujours connue au-dessus de ma vie, et pourtant, sous sa figure inhumaine, par sa voix, ses gestes, son rire, c'était ma mère, plus que jamais ».

Après la mort de sa mère, l'écrivain, dévastée, l’avait décrite dans "Une femme" avant de se décider, finalement, à publier telles qu'elles ces pages écrites au jour le jour " dans la stupeur et le bouleversement".

LA VIE EXTÉRIEURE, 1998

Ernaux 10

La Vie extérieure (1998) reprend le projet d’écriture amorcé avec le Journal du dehors (1993). Il s’agit là encore d’observer la vie dans le RER ou les supermarchés. Immergée dans ces lieux ordinaires, l’écrivain porte un regard subjectif, à la fois bienveillant et distancé : « Je crois très fortement que c'est dans les autres que l'on découvre des vérités sur soi ».

L'ÉVÉNEMENT, 1998

Ernaux 11

En 1963, l'écrivain s'appelle encore Annie Duchesne. Jeune étudiante, elle tombe enceinte. Avoir un enfant briserait ses ambitions : sortir de son milieu populaire, devenir prof, écrire. Le livre raconte son avortement clandestin, pratiqué par une faiseuse d'ange brutale et donneuse de leçons, le mépris des médecins hostiles ou indifférents.

Ce récit précurseur sur la question de l'avortement prend une résonance accrue après une décision de la Cour suprême des Etats-Unis qui remet en cause le droit d’avorter des femmes américaines.

Adapté au cinéma en 2021 par Audrey Diwan, avec Anamaria Vartolomei dans le rôle principal, le film L'Événement a reçu le Lion d'or du Festival de Venise.

SE PERDRE, 2001

Ernaux 12

Se perdre est le journal brut tenu par Annie Ernaux tout au long de l'histoire qui sera relatée dans Passion simple : "Je me suis aperçue qu’il y avait dans ces pages une « vérité » autre que celle contenue dans Passion simple. Les mots qui se sont déposés sur le papier pour saisir des pensées, des sensations à un moment donné ont pour moi un caractère aussi irréversible que le temps : ils sont le temps lui-même.

La publication de Se perdre réactive les attaques contre Annie Ernaux : ce texte révélant des « expériences intimes jugés indicibles n'est-il pas indigne d'être lu ? » Reposée dix ans après la polémique suscitée par Passion simple, la question tombe à plat et marque le sexisme des signataires d'articles tentant de réveiller des débats d'arrière-garde.

A l’inverse, la critique littéraire, nationale comme internationale, se passionne toujours davantage pour le projet d’écriture original d’Annie Ernaux, creusant les mêmes thèmes par-delà les décennies ou inventant des formes littéraires différentes pour en rendre compte.

L'OCCUPATION, 2002

Ernaux 13

L'occupation, dans la veine de Passion simple, est un court récit dans lequel Annie Ernaux décrit la jalousie qui s’empare d’une femme remplacée par une autre femme dans le cœur d’un homme : « J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris. »

L'ÉCRITURE COMME UN COUTEAU, 2002

Ernaux 15

Pendant une année, Annie Ernaux a répondu aux questions de l'écrivain Frédéric-Yves Jeannet pour rendre compte de sa pratique d’écriture, décrire sa manière de travailler, expliciter la « visée » de ses textes : « J’ai l’impression que l’écriture est ce que je peux faire de mieux, dans mon cas, dans ma situation de transfuge, comme acte politique et comme don. »

L'USAGE DE LA PHOTO, 2005

Ernaux 15

Un couple documente par l'image et le texte les chambres où se retrouver, les compositions abstraites formées par les vêtements jetés en désordre avant l'étreinte. "Photo, écriture, à chaque fois il s'est agi pour nous de conférer davantage de réalité à des moments de jouissance irreprésentables et fugitifs." Garder les traces d'un jeu amoureux entre deux amants, mais aussi la conjugaison de l'érotisme et du cancer du sein, d'Eros et de Thanatos.

LES ANNÉES, 2008

Ernaux 16

Toute une vie de femme, de sa naissance pendant la Seconde guerre mondiale à 2007, année de l'élection du président de la République Sarkozy :  "une existence singulière donc mais fondue aussi dans le mouvement d'une génération". Toute une vie décrite à partir de photos qui pourraient être les nôtres, de références partagées, d’événements et de mutations que nous avons vécus ensemble.

La critique est unanime face à ce « monument littéraire » et « première autobiographie collective » est accueillie par un public très diversifié. En témoigne le large éventail des récompenses reçues : Prix de la langue française, Prix Marguerite-Duras, Prix François-Mauriac de la région Aquitaine, Prix des Lecteurs du Télégramme (2009). Classé parmi les «100 romans qui ont le plus enthousiasmé le journal Le Monde depuis 1944 », Les Années est couronné en Italie par le Strega européen. Les références historiques propres à la France révèlent aussi un xxème siècle commun à tous les lecteurs de la planète comme en attestent le succès des traductions en plus de quarante langues (espagnol, anglais, allemand, serbe, bulgare, géorgien ou japonais...)

Les Années est étudié dès le début des années 1990 dans les universités anglo-saxonnes, au Canada, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. Le succès public suit après la traduction en anglais en 2018. Traduction qui permet au livre d’être en 2019 finaliste du Man Booker Prize, le plus prestigieux prix de littérature étrangère au Royaume Uni.

REGARDE LES LUMIÈRES MON AMOUR, 2014

Ernaux 17

Annie Ernaux choisit de décrire une grande surface de la périphérie où se rendent chaque jour des milliers de personnes. Comme eux, sa liste de courses à la main, elle observe la diversité des clients, les caissières peu à peu remplacées par des caisses automatiques, le contenu des caddies comme celui des invitations à consommer toujours davantage. Un lieu à la fois "grand rendez-vous humain et spectacle ".

Je me suis intéressée pour ce texte aux hypermarchés parce qu’on y trouve toutes les classes sociales, et c’était un moyen de parler aussi de quelque chose qui me tient à cœur : les femmes voilées qu’on y voit et dont je sais que la présence insupporte des gens. Mon intention est à la fois politique et sociale. Quand Regarde les lumières mon amour est sorti, le mépris a éclaté dans les critiques, « Le Masque et la Plume » et d’autres. Comme vingt ans plus tôt à propos de Journal du dehors, quand j’ai eu droit à « La Madone du RER ».

Accompagné d'un dossier pédagogique, le texte aujourd’hui est proposé aux collégiens des classes de troisième pour étudier l'économie marchande et la montée du consumérisme.

LE VRAI LIEU, 2014

Ernaux 18

" En 2008, Michelle Porte, que je connaissais comme la réalisatrice de très beaux documentaires sur Virginia Woolf et Marguerite Duras, m'a exprimé son désir de me filmer dans les lieux de ma jeunesse, Yvetot, Rouen, et dans celui d'aujourd'hui, Cergy. J'évoquerais ma vie, l'écriture, le lien entre les deux. J'ai aimé et accepté immédiatement son projet, convaincue que le lieu - géographique, social - où l'on nait et celui ou l'on vit offre sur les textes écrits, non pas une explication, mais l'arrière-fond de la réalité où, plus ou moins ils ont ancrés."  Annie Ernaux

Le vrai lieu propose le texte intégral de l'entretien mené par Michelle Porte pour le documentaire qu'elle a réalisé sur Annie Ernaux : Les mots comme des pierres, Annie Ernaux écrivain, Folamour Productions, produit par Marie Genin et diffusé sur France3 en 2013

MÉMOIRE DE FILLE, 2016

Ernaux 19

 Annie Ernaux fait le récit d'un événement vieux de quarante ans, sa première nuit avec un homme, à la colonie de vacances de S. dans l’Orne. Elle reconnaîtra par la suite que dix ans lui auront été nécessaires pour écrire sur « la fille de 58 », pour neutraliser la violence des mécanismes par lesquels une jeune fille qui se croyait libre devient, en dépit de sa volonté, un simple objet du plaisir masculin.

Ce 19e livre est unanimement salué par la critique pour son actualité et sa pertinence. Les rites d’humiliation des hommes sur les femmes n’ont pas disparu et aujourd’hui les réseaux sociaux en démultiplient l’ampleur. L’influence américaine permet de nommer ces phénomènes (slut shaming, body-shaming, victim-blaming) et de les dénoncer. Certains voient en Mémoire de fille la pièce manquante du puzzle de l'œuvre bâtie par Annie Ernaux depuis plus de 50 ans.

Le prix Nobel de littérature 2022 est décerné à Annie Ernau

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06/10/2022

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