« Mitterrand prétendait “changer la vie” en 1981. La présidence Chirac s’est enrayée sitôt commencée. Le repli s’est poursuivi, bon an mal an, sous leurs successeurs qui n’ont pas toujours démérité. La France n’a certes pas encore touché le fond, mais elle s’est laissée aller... Ce qui n’empêche ni les plaisirs, ni les joies, ni les chansons qui égaient notre vie, ni la nostalgie de ceux qui nous ont quittés – Aragon, Barbara, Johnny Hallyday, Belmondo... J’ai voulu raconter comme je l’avais vécu ce temps de faux espoirs et de vraies ruptures, dans un va-et-vient entre nos perceptions d’alors et notre regard d’aujourd’hui. Si mon récit vire parfois à la tragi-comédie, ne vaut-il pas mieux en rire, comme dirait Beaumarchais, pour ne pas en pleurer ? »
Ce 3e volume couvre la période de 1981 à aujourd’hui, et d’emblée vous épinglez « sept chevaliers du déclin » que vous qualifiez de « démolisseurs » : Mitterrand, Chirac, Balladur, Jospin, Sarkozy, Hollande, Macron. Tous coupables de cette tragédie française ?
Oui, tous coupables, à gauche comme à droite, mais à des degrés divers. Mitterrand a cru qu’il pouvait changer les règles rigoureuses de la bonne gestion financière édictées par le général de Gaulle depuis 1958. Il a dépensé à tout va et l’économie s’est vengée. Sur ce plan, Macron aura été son continuateur en sortant sans cesse son carnet de chèques, avec l’espoir naïf de se rendre populaire. Il a aussi été celui qui, même s’il s’est fait traiter de « dictateur », aura incarné le délitement général de l’autorité, l’un des grands défis actuels.
Nombre de dirigeants d’autres pays, européens en particulier, n’apparaissent guère plus brillants... Signe d’une tendance générale à la médiocrité, ou diriez-vous que la France bat des records dans ce domaine – une forme d’exception culturelle ?
Les dirigeants européens ne sont pas plus brillants que les nôtres. Mais ils sont souvent moins peureux et ont plus de volonté, ce qui n’est pas difficile. La conservatrice britannique Thatcher et le social-démocrate allemand Schroeder n’étaient peut-être pas des aigles, mais ils ont redressé leur pays en faisant les réformes qui s’imposaient et leurs successeurs, qui étaient de l’autre camp, ne les ont pas remises en question.
Vous écrivez à propos de Saddam Hussein : « La tyrannie est une prison intérieure où la lumière n’entre jamais. » Si l’on remplace « tyrannie » par, disons, « narcissisme » ou « orgueil », l’affirmation reste-t-elle valable ?
Bien sûr. Vous pourriez ajouter encore le mot « cynisme ». C’est pourquoi les grands personnages de l’histoire récente sont ouverts au monde, changent souvent d’avis et s’affranchissent toujours de leur « prison intérieure ». Ainsi de Gaulle, Churchill, Kohl, l’un des « héros » de ce tome 3.
Le principe de séparation des pouvoirs – législatif, exécutif, judiciaire – semble de moins en moins respecté dans les faits. Serait-ce une raison majeure du délitement de la France ?
Qui peut croire sérieusement qu’il suffirait de refaire une Constitution pour que notre pays reparte sur la bonne voie ? Si les problèmes de la France étaient surtout institutionnels, tout serait simple. C’est, hélas, l’arbre qui cache la forêt. Nous vivons une crise de la volonté politique, aujourd’hui à son paroxysme, alors que nous nous endettons sans retenue, que la désindustrialisation se poursuit et que notre école ne remplit plus sa mission. Sans parler de la montée des communautarismes qui accélère la fragmentation de notre société !
Joseph de Maistre écrivait en 1857 la fameuse phrase : « Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. » Pourrait-on dire qu’en dernier ressort, ce sont les Français eux-mêmes les responsables de l’état du pays ?
En partie, oui. Ils sont, comme disait Barre, corporatistes et émeutiers. Je raconte ainsi cet incroyable épisode de l’automne 1995 quand le gouvernement Juppé a voulu mettre fin, progressivement il va de soi, aux privilèges exorbitants des agents roulants de la SNCF qui partaient alors à la retraite à 50 ans. Soudain, le pays entier s’est arrêté. Pour nos « grands intellectuels », c’était – sans rire – la fin de la civilisation ! Si Chirac n’a pas fait grand-chose par la suite, il a au moins quelques excuses. Et il m’a souvent tenu sur les Français, qu’il aimait tant, des propos très crus et peu amènes que je rapporte. C’est leur caractère éruptif qui rend si pusillanimes nos dirigeants : ils ont oublié, comme disait de Gaulle, que gouverner, « c’est être dur ».
Journaliste, biographe et romancier, Franz-Olivier Giesbert a notamment publié récemment La cuisinière de Himmler, L’arracheuse de dents, Belle d’amour, La dernière fois que j’ai rencontré Dieu, Le schmock, Dernier été.