Parution le 17 Octobre 2024
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Personne ne lira ce que j’écris ici ; personne ne viendra m’apporter son aide ; si m’apporter de l’aide était présenté comme une tâche à accomplir, toutes les portes de toutes les maisons demeureraient fermées, et toutes les fenêtres aussi, tous resteraient étendus dans leur lit, les couvertures rabattues sur la tête, une auberge plongée dans la nuit, voilà ce que serait la terre entière. C’est parfaitement sensé, car personne ne connaît mon existence, et si quelqu’un connaissait mon existence, il ne connaîtrait pas mon séjour, et s’il connaissait mon séjour, il ne saurait pas m’y retenir, et s’il savait m’y retenir, il ne saurait pas de quelle manière m’apporter de l’aide. Vouloir m’aider est une maladie, qui doit être soignée en restant au lit.
Je sais tout cela, et je n’écris donc pas pour réclamer de l’aide, même si, impulsif comme je le suis, il m’arrive, comme en ce moment précis, d’y penser très fortement de temps à autre. Mais pour chasser de telles idées, il me suffit de regarder tout autour de moi et de me rappeler à quel endroit je suis et — je suis fondé à l’affirmer — à quel endroit j’habite depuis des siècles. J’écris ces lignes étendu sur une banquette de bois, je n’ai sur moi — ce n’est pas un plaisir de me regarder — qu’un linceul sale, mes cheveux et ma barbe poivre et sel sont emmêlés de manière inextricable, mes jambes sont recouvertes d’un grand foulard de soie, orné de motifs floraux et de longues franges. À ma tête, un cierge d’église me donne de la lumière. Sur le mur face à moi, une petite image représente manifestement un bushman qui me vise de sa lance et se dissimule autant que possible derrière un bouclier magnifiquement peint. Sur les bateaux, on voit souvent des images stupides, mais celle-ci est une des plus stupides qui soient. Sinon, ma cage de bois est entièrement vide. L’air chaud de la nuit méridionale entre par une lucarne ménagée dans la paroi latérale, et j’entends l’eau clapoter contre la vieille barque.
C’est ici que je suis étendu depuis l’époque où moi, le chasseur Gracchus, j’étais encore en vie et où j’étais en train de poursuivre un chamois là-bas, chez moi, dans la Forêt-Noire, avant de chuter dans l’abîme. Tout s’enchaîna implacablement. Je poursuivais un chamois, chutais dans l’abîme, me vidais de mon sang dans un ravin ; j’étais mort, et cette barque était censée m’emporter dans l’au-delà. Je me souviens encore de la joie avec laquelle je m’étendis ici pour la première fois de tout mon long sur cette banquette, jamais les montagnes ne m’avaient entendu chanter comme je le fis pour ces quatre parois alors encore plongées dans la pénombre. J’avais aimé vivre et j’avais aimé mourir ; avant de monter à bord, je fus heureux de me débarrasser de mon fusil, de ma gibecière et de ma veste de chasseur, de toutes ces canailles que j’avais toujours portées avec fierté, et je me glissai dans mon linceul comme une jeune fille dans sa robe de mariée. J’étais étendu là et j’attendais. C’est alors que se produisit [interrompu]
Traduit de l’allemand par Stéphane Pesnel.