La Pléaide

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Cioran

Un écrivain français dans La Pléiade : Cioran.

6 mai 2011

À l’encontre de soi, telle pourrait être l’épigraphe, empruntée au Précis de décomposition, de ce volume, qui paraîtra en novembre et rassemblera les dix ouvrages écrits par Cioran en français, entre 1949 et 1987.

On ne retire pas sa confiance aux mots, ni on n’attente à leur sécurité, sans avoir un pied dans l’abîme. Leur néant procède du nôtre. Ne faisant plus corps avec notre esprit, ils sont comme s’ils ne nous avaient jamais servi. Existent-ils ? Nous concevons leur existence sans la sentir. Quelle solitude que celle où ils nous quittent et où nous les quittons ! Nous sommes libres, il est vrai ; mais nous regrettons leur despotisme. Ils étaient là avec les choses ; maintenant qu’ils disparaissent, elles s’apprêtent à les suivre et s’amenuisent sous nos regards. Tout diminue, tout se résorbe. Où fuir, par où échapper à l’infime ? La matière se ratatine, abdique ses dimensions, vide les lieux… Cependant notre peur se dilate, et, occupant la place, fait office d’univers.

Cioran, La Tentation d’exister, 1956.

L’édition est établie sous la direction de Nicolas Cavaillès, auteur de Cioran malgré lui (CNRS Éditions, 2011), avec la collaboration d’Aurélien Demars, qui a consacré sa thèse au Pessimisme jubilatoire de Cioran. Premier livre composé en français, livre de rupture avec les engouements en langue roumaine, le Précis ouvre une nouvelle ère dans l’œuvre de Cioran, non seulement sur le plan linguistique, mais surtout sur celui de l’écriture. L’œuvre roumaine s’était déployée comme un paon fait la roue. À partir du Précis, l’écriture avance. Chaque livre devient le nouvel acte d’une œuvre en mouvement, la réponse au précédent, une réaction et une étape dans l’interminable déroulement d’une pensée vaillamment sceptique, obsédée par elle-même et par sa probité, ennemie de tout confort : la lucidité ne saurait être viable. Dès Précis de décomposition, Cioran donne pour fil conducteur à son écriture l’autocritique à laquelle il devra d’être devenu celui qu’il était. Aveux et anathèmes (1987), le dernier livre de ce maniaque du contre-pied, est aussi sa dernière volte-face, d’autant plus nerveuse qu’elle s’effectue dans l’étroit tombeau que Cioran s’est construit lui-même, quatre décennies durant, selon les rigoureux plans du penser contre soi.