Parution le 26 Septembre 2024
1328 pages, Prix de lancement 69.00 € jusqu'au 31 12 2024
Joyce, Woolf, T. S. Eliot ont été sensibles à la guerre que mena Lawrence contre le roman réaliste « à l’ancienne », en faveur de l’effacement de la frontière entre roman et poésie. « Ne me donnez rien de fixe, rien de figé, rien de statique », disait-il. Femmes amoureuses (écrit en 1916, publié en 1920) est un roman « jamais contenu, jamais confiné, jamais dominé de l’extérieur ».
« Pourquoi l’amour devrait-il être comme le sommeil ? demanda Ursula tristement.
— Je ne sais pas. Pour qu’il soit comme la mort — je veux véritablement mourir à cette vie-ci — et pour qu’il soit pourtant plus que la vie même. Y entrer comme un enfant nu sortide la matrice, débarrassé de toutes les vieilles défenses et du vieux corps, entouré d’un air neuf, qui n’a jamais été respiré. » […]
« Mais n’avez-vous pas déclaré aspirer à quelque chose qui n’était pas l’amour, qui soit au-delà de l’amour ? » objecta-t-elle gravement.
[…]«Je n’aspire pas à l’amour, répondit Birkin. Je n’aspire pas à vous connaître. J’aspire à sortir de moi-même, et vous aspirez à vous perdre pour vous-même, il se trouve donc que nous sommes différents. On ne devrait jamais parler quand on est fatigué et malheureux. On fait son Hamlet, et cela paraît mensonger. Croyez-moi seulement quand je manifeste un pseudo fierté et d’insouciance saines. Je me déteste quand je suis sérieux.
— Pourquoi ne devriez-vous pas être sérieux ? »
Il réfléchit une minute, puis dit, boudeur :
« Je ne sais pas. »
Ils continuèrent sans un mot, en désaccord. Il était perdu, dans le vague.
« N’est-ce pas étrange, que nous parlions toujours ainsi ? » dit-elle en lui posant tout à coup une main sur le bras, dans un élan amoureux. « Je suppose que nous nous aimons, d’une certaine manière.
— Oh oui, trop.»
Elle éclata de rire, presque gaiement.
« Il faudrait que les choses s’arrangent à votre guise, non ? le taquina-t-elle. Vous ne pourriez jamais les accepter en confiance. »
Il changea, rit doucement, se retourna et la prit dans ses bras, au milieu de la route.
« Oui », dit-il doucement.
Et il baisa son visage et son front, lentement, délicatement, avec une sorte de bonheur fragile qui l’étonna au plus haut point, et auquel elle était incapable de répondre. C’étaient des baisers doux et aveugles, parfaits dans leur immobilité. Pourtant elle les fuyait. C’était comme d’étranges papillons de nuit, très doux et silencieux, qui se posaient sur elle, surgis des ténèbres de son âme. Elle était mal à l’aise. Elle se dégagea.
« N’y a-t-il pas quelqu’un qui arrive ? » Ils scrutèrent le bout de la route sombre, puis se remirent en marche vers Beldover. Et tout à coup, pour lui montrer qu’elle n’était pas une prude superficielle, elle s’arrêta et le serra dans ses bras, très fort contre elle, pour couvrir son visage de baisers passionnés, durs et féroces. Malgré son altérité, il sentit palpiter en lui le vieux sang.
« Pas ça, pas ça », gémit-il tout bas, alors que ce premier état de douceur parfaite et de beauté semblable à celle du sommeil refluait sous l’élan de passion qui montait dans ses membres et jusqu’à son visage cependant qu’elle l’attirait contre elle.
Et bientôt, il fut une flamme dure et parfaite de désir passionné. Pourtant, dans le petit noyau de la flamme persistait l’angoisse inflexible d’autre chose. Mais cette sensation-là se perdit aussi ; il ne voulait qu’Ursula, d’un désir extrême qui semblait aussi inévitable que la mort, au-delà de toute interrogation.
Traduit de l’anglais par Laurent Bury.