Un siècle exactement après sa mort, le Norvégien Henrik Ibsen est considéré comme l'un des pionniers du théâtre moderne. Le temps ne semble pas avoir de prise sur lui, peut-être parce qu'il a soulevé des questions essentielles, sur la morale, la société, la famille, l'individu, l'humain en général, tout en laissant aux générations successives le soin d'y apporter les réponses qui leur conviennent. Les grands écrivains ont proclamé leur admiration pour son œuvre, et le jeune Joyce n'a pas hésité à apprendre les rudiments du norvégien pour lui dire, dans une lettre célèbre, à quel point son théâtre, «absolument indifférent aux canons officiels de l'art, de l'amitié et des mots d'ordre», comptait pour lui. Joyce ne se trompait pas en pointant la «résolution farouche» avec laquelle Ibsen cherchait à «arracher à la vie son secret». Comment mener une «vie vraie» : la question est centrale dans le théâtre d'Ibsen, dont cette édition, composée de traductions nouvelles, propose l'essentiel : les dix-sept dernières pièces (sur un total de vingt-six), depuis Les Prétendants à la couronne, encore imprégnée de l'inspiration historique qui fut celle du jeune dramaturge lecteur de sagas, jusqu'à Quand nous ressusciterons, qui est en quelque sorte l'«épilogue dramatique» de l'œuvre, en passant par Peer Gynt, où s'accuse la rupture avec le romantisme, et par tous les chefs-d'œuvre dits «bourgeois». Mais le qualificatif ne rend guère justice à ces tragédies du quotidien. Chez Ibsen, les fenêtres du salon donnent sur le fjord. La force et le mystère du paysage scandinave passent dans les caractères des créatures de celui qui fut (selon André Suarès) «le seul Rêveur, depuis Shakespeare».