Que l’œuvre de Feydeau soit rattachée, non sans raison, mais un peu paresseusement, à un genre léger, populaire et aussi décrié qu’il est goûté n’a pas aidé à sa reconnaissance. Il reste que l’on ne dit pas grand-chose de l’œuvre quand on se contente de mentionner ce genre – le vaudeville – ou de parler d’amants dans le placard et de portes qui claquent. Pas d’erreur pourtantœ: les portes claquent bel et bien. Mais elles claquent de telle façon que ce genre, le vaudeville donc, s’en trouve renouvelé, énergisé, accéléré (bien des scènes semblent des odes à la vitesse), poussé à son paroxysme et, en définitive, conduit à l’implosion. L’implacable mécanique souvent évoquée existe bien, et les rouages de la machinerie mise au service du comique sont admirablement huilés. Ce que l’on évoque moins souvent, c’est l’arrière-plan de l’univers de Feydeau. Or la manière dont ses pièces traduisent et véhiculent les engouements, préoccupations et inquiétudes d’une époque qui voit, ou ne voit pas, arriver la guerre mondiale et la fin d’un monde mérite d’être soulignée. La gaieté de Feydeau est indéniable, mais elle n’est pas séparable d’une sorte de folie, dont l’écriture, aussi bien que les situations, porte la marque.
Car Feydeau n’est pas (seulement) un brillant entrepreneur de spectacles : c'est un écrivain. La qualité de son dialogue, tout en apparente spontanéité, résulte d’un travail opiniâtre. Les indications scéniques parfois fascinantes qui émaillent le texte de ses pièces et décrivent avec une précision horlogère, jusqu’au vertige, la disposition des lieux et l’attitude des personnages témoignent d’une passion de la description que l’on ne rencontrera plus avant le Nouveau Roman. Pourtant, même ainsi « programmés », les personnages ne sont ni des pantins ni des automates. Autant que des intrigues trop convenues, Feydeau se défie des « types » trop conventionnels mis en scène par les vaudevillistes de son temps. Ses personnages, il va les chercher, de son propre aveu, dans la réalité ; peu désireux de faire d’eux des fantoches, il leur conserve leur personnalité, leur vitalité – et tout soudain les plonge dans des situations burlesques. On a pu les comparer à des cobayes, et leur créateur à un expérimentateur non dénué d’une certaine cruauté. Mais c’est à l’égard du langage, des langages, qu’il met à la disposition de ses créatures ou dont, par moments, il les prive, que Feydeau se montre le plus audacieusement expérimentateur. À force de répétitions, de déformations, de mélanges babéliens, de lapsus, de mal-entendus, la langue perd tout ou partie de sa fonction de communication. Les liens logiques se desserrent, ils se dissolvent, on ne s’entend plus, l’absurde triomphe. Loin de prolonger un genre réputé poussiéreux, Feydeau ouvre la voie au théâtre qu’illustreront bientôt Ionesco ou Beckett.
L'implacable folie de Feydeau. Le maître du vaudeville et fin observateur de la nature humaine entre dans "La Pléiade" avec un choix de treize pièces hilarantes.
Brigitte Salino, Le Monde des Livres (17 décembre 2021)
« Feydeau écrivait souvent sur le moment, au fil des répétitions, et il accordait un soin maniaque aux placements des comédiens sur le plateau. Aucun détail, bibelots compris, n'était négligé pour atteindre le but : faire rire en montrant la lâcheté, l'égoïsme et la bêtise de la bourgeoisie moyenne. Les couples s’ennuient, quand ils ne se harcèlent pas. Ils prennent, ou voudraient prendre maîtresse ou amant, mais leur désir cède devant la pression sociale. Feydeau se montre impitoyable, et aussi corrosif avec les hommes qu’avec les femmes. II met au jour leur hypocrisie fondamentale, il étale leurs viscères, il traque leur inconscient, à une époque où Charcot et l’hypnose enthousiasment les foules. Tout explose, la folie guette, on s’en délecte comme un pansement hilarant. C’est ainsi que, traversant le temps, Feydeau est grand.»
Cent ans après sa mort, l’auteur de vaudeville Georges Feydeau se redécouvre en écrivain de talent. Feydeau, l’orfèvre du rire.
Marie-Valentine Chaudon, La Croix (16 décembre 2021)
« Sous la couverture cuir et or, le papier bible est soudain secoué d’étranges turbulences. Avec Georges Feydeau (1862-1921), le rire entre en grande pompe dans la prestigieuse collection de Gallimard. Une consécration littéraire pour cet auteur prolifique, représentant d’un genre généralement considéré comme mineur, dont la plume n’a cessé, un siècle après sa disparition, de réjouir les salles. S’il en a conservé les recettes, héritées entre autres de son aîné Eugène Labiche, Feydeau a insufflé au vaudeville une énergie nouvelle, générée par une accélération de l’intrigue et des dialogues »
« Outre les textes eux-mêmes, à la lecture susceptible de déclencher quelque hilarité solitaire, l’intérêt de cette édition réside dans un appareil critique d’une richesse remarquable. Violaine Heyraud entend une fois pour toutes en finir avec l’image « d’amuseur sans profondeur » qui longtemps colla à Feydeau. La chercheuse présente un écrivain à « l’invention discrète » mais d’une efficacité redoutable. À lire la précision des nombreuses didascalies, on comprend que Feydeau n’a cessé de faire parler les corps autant qu’il délie les langues sur une cadence effrénée.»
La revanche de Feydeau
Jacques Nerson, L'Obs (18 au 24 novembre 2021)
« L'admission de Feydeau dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade achève de le réhabiliter.»