«Dans le temple de l'art dramatique, c'est Phèdre qui tient la place du lustre», a joliment écrit Jean-Louis Barrault ; il serait cependant très réducteur de ramener à Phèdre toute l'œuvre de Racine. De même, on aurait le plus grand tort de croire que Corneille, Molière et Racine sont seuls à mériter d'être lus – et joués – aujourd'hui. La publication d'une anthologie du théâtre du XVIIe siècle qui contient des pièces largements autonomes – entendons qu'elles existent indépendamment et en dehors de celles des «trois grands» – offre une bonne occasion de rétablir un éclairage historiquement plus exact.
Le tome I de cette édition est consacré à la production théâtrale du temps de Louis XIII. Ce deuxième volume rassemble des œuvres de la fin du règne et de la période suivante, de l'avènement de Louis XIV (1643) à la mort de Molière (1673). Dix-neuf pièces, dont beaucoup étaient introuvables ou difficiles d'accès, sont présentées au lecteur.
On lira par exemple le plus grand succès de théâtre du siècle : le Timocrate de Thomas Corneille, frère de Pierre, ou l'Alcionée de Du Ryer qui préfigure au plan de la technique dramatique tout le théâtre de Racine. On découvrira Le Pédant joué, comédie satirique et libertine d'un inconnu célèbre, Cyrano de Bergerac, en qui on a parfois cru voir le précurseur des modernes contestations du langage, telles que les connaissent les spectateurs de Ionesco ou de Beckett. On reconnaîtra la très grande importance des Visionnaires, cette extraordinaire comédie de Desmarets de Saint-Sorlin, dont les personnages sont des «extravagants» portant tous en eux une part de folie : l'amoureuse du théâtre, celle d'Alexandre le
Grand, le poète imaginaire, «celle qui croit que chacun l'aime» entrelacent leurs « folles visions» au gré d'une intrigue dont la force comique est intacte ; dans le miroir que tendent les visionnaires du fond de leur mégalomanie, on entrevoit parfois le reflet tremblant d'esprits que «tous les jours nous voyons parmi nous» : Mme de Sévigné ne s'y est pas trompée, qui a vu dans cette pièce «la représentation de tout le monde».
«La principale règle est de toucher», dira Racine. Ses prédécesseurs immédiats et ses contemporains le savaient bien : à l'image des Visionnaires, les pièces rassemblées dans ce volume et dotées d'un précieux appareil critique ont de quoi nous plaire, et nous émouvoir.