Hermétique aux expérimentations littéraires, Michel Tournier dit appartenir à la famille des «fictionnistes», dont les aînés sont Balzac, Hugo ou Dumas. La revendication de cette tradition s'accompagne chez lui d'une conception selon laquelle l'écrivain serait avant tout un artisan – et d'une défiance envers les maîtres à penser. Mais pas envers la pensée, puisque Tournier, philosophe et germaniste qui, comme Descartes, avançait «masqué», déclarait par ailleurs : «je n'ai jamais rien publié qui ne découle secrètement et indirectement de Platon, d'Aristote, de Spinoza, de Leibniz et de quelques autres». Ces références ont de quoi étonner, sans doute, car nul ne se voulait plus romancier que Tournier en une époque où la théorie semblait parfois prendre le pas sur la littérature.
Il publie son premier roman, Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), au moment où le Nouveau Roman domine intellectuellement le monde littéraire français. Il n'a pas la moindre affinité avec ce mouvement, mais ses soutiens ne sont pas des ennemis de la modernité littéraire ; Vendredi est défendu par Queneau chez Gallimard ; Calvino y voit pour sa part un livre crucial, ouvrant une voie nouvelle ; tandis que pour Deleuze, il s'agit non seulement d'un roman philosophique, mais aussi «d'un roman d'aventures, de métamorphoses spirituelles, un roman nudiste, un roman comique, pervers, élémentaire, cosmique, un roman romanesque, dans la perfection d'un style où
tout est rigueur et hymne». À la lecture du Roi des Aulnes (prix Goncourt 1970), George Steiner affirme qu'il s'agit de «l'un des plus grands romans européens de ces dernières décennies». D'autres s'effraieront de la proximité de la métaphysique et de la scatologie... Mais Tournier, loin de s'adresser seulement aux intellectuels et aux philosophes, ou de vouloir exclusivement terrifier les âmes frileuses, entendait que son œuvre touche le public le plus vaste. Vendredi ou la Vie sauvage (1971) – destiné d'abord aux enfants, mais qu'il estimait être plus abouti que le premier Vendredi – compte aujourd'hui plus de sept millions de lecteurs.
Le projet d'éditer les Romans de Tournier dans la Pléiade a été conçu du vivant de l'auteur, et le sommaire du volume, établi en concertation avec lui, est demeuré inchangé après sa mort en 2016. On ne s'étonnera pas de la présence d'un essai intitulé Le Vent Paraclet (1977), qui offre un regard de l'intérieur sur le volume ; Tournier cherche en effet à y approcher le secret de la création, et plus particulièrement celui de ses romans : Vendredi, Le Roi des Aulnes et Les Météores. Pour la première fois, les manuscrits de Tournier sont mobilisés : ils donnent un accès unique à l'atelier de l'auteur. On découvre ainsi comment ce «jeune romancier» de plus de quarante ans, qui écrivait à Robert Gallimard en 1966 : «je suis un faux débutant», avait en réalité «toujours écrit».
Tournier en boucle
Florent Georgesco, Le Monde des Livres (24/03/2017)
«Avec la parution de son œuvre en "Pléiade", la voix du romancier, mort en 2016, surgit de nouveau dans sa puissance buissonnière.
Un grand roman de Michel Tournier atteint toujours à une forme de scintillement à la fois épars et éblouissant du sens.»
Tournier a rejoint Zola et Giono
Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche (05/03/2017)
« Dedans les quatre volumes qui, de 1967 à 1980, imposèrent son nom dans la littérature du XXe siècle, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Le Roi des aulnes, Les Météores, Gaspard, Melchior et Balthazar. André Gide disait de Simenon qu'il était un grand romancier parce qu'il n'était que romancier. En publiant dès 1977 son autobiographie intellectuelle, Le Vent Paraclet, Michel Tournier démontrait qu'il était aussi un grand écrivain.
Il faut lire l'excellente introduction du volume de la Pléiade par son amie et exécutrice testamentaire, l'universitaire Arlette Bouloumié, qui a préparé avec lui cette édition. Vous apprendrez l'essentiel sur le germaniste, sa conception du "temps géographique", sa recherche du sacré, l'aspiration de ses héros "à dépasser les frontières de la condition humaine", sa célébration de "la fraternité oubliée avec la nature". Que d'idées chez Tournier, que d'intelligence élaborée, maîtrisée, insérée dans ses romans qui relèvent pourtant tous d'un réalisme précis et documenté.»
Michel Tournier : le roi des autres
« Gallimard rassemble dans sa prestigieuse collection La Pléiade six romans et un essai de l'écrivain disparu en janvier 2016. L'occasion de goûter l'extraordinaire cohérence de son œuvre.»