Conrad a toujours eu le projet d'un grand roman méditerranéen. Cet ancien capitaine de la marine marchande anglaise, qui voyagea de Newcastle à Sidney, qui faillit périr noyé à bord du Palestine, qui fit la navette entre Singapour et Bornéo, qui connut les traversées périlleuses, les ravages du choléra, les fièvres, cet écrivain que passionnait l'aventure a gardé jusqu'à sa mort la nostalgie de
la première mer qu'il parcourut : la Méditerranée.
Le tome V des Œuvres de Conrad dans la Pléiade rassemble les derniers écrits. Malade, conscient que l'essentiel de son œuvre est derrière lui, presque désabusé, Conrad installe ses personnages au bord de la Méditerranée. Et, s'il se souvient de Marseille, de ses amours, du temps où lui-même – comme le héros de La Flèche d'or – se faisait appeler Monsieur Georges, s'il se tourne résolument vers le passé en entreprenant, avec L'Attente, son
«roman napoléonien», il n'a plus l'énergie qui lui fit écrire Nostromo ou Lord Jim. Et c'est là le charme amer de
ces romans imparfaits : les images s'estompent, elles ont perdu leur splendeur, la désillusion s'installe en attendant le dernier naufrage.
«– Où est maintenant son étoile? dit Cosmo, après avoir regardé à terre un moment en silence. – Signore, elle a dû s'éteindre, répondit Attilio avec une intonation étudiée. Mais qui s'apercevra de son absence dans le ciel?» (L'Attente)