«Je pourrais faire un ouvrage qui ne plairait qu’à moi et qui serait reconnu beau en 2000» : Stendhal tiendra promesse, écrira pour lui-même, tout en songeant à la postérité et aux générations futures. Il vient tard au genre romanesque, à quarante-trois ans seulement, avec Armance. Avant, il a exercé sa plume dans différents domaines. Mais ce sont ses romans qui le distinguent aujourd'hui à nos yeux. Il est considéré comme le premier romancier «réaliste», devançant Balzac d’une courte tête. Peindre l’époque sans verser dans la caricature, être réaliste sans tomber dans le vérisme mort-né, décrire des mœurs vouées à devenir caduques en lorgnant sur l’immortalité: les impératifs d’écriture qu’Henri Beyle s’était fixés pouvaient paraître contradictoires. Pourtant, Stendhal a gagné son pari : il a écrit des romans qui, quoique réalistes, sont passés à la postérité. Le Rouge et le Noir incarne l'accord parfait entre une représentation historique, réaliste, satirique, et une intrigue héroïque transcendant la situation politique et sociale de l’heure. La «chronique de 1830» est entrée dans un éternel présent.
Les éditions successives des œuvres de Stendhal reflètent l’importance toujours plus grande qu’il revêt aux yeux de chaque nouvelle génération. Celle dont la Pléiade publie aujourd’hui le premier volume comptera trois tomes et propose une organisation nouvelle, puisque tous les textes narratifs y sont classés dans l’ordre chronologique de leur composition. Enfin, pourrait-on dire : aussi étonnant que cela paraisse, c’est la première fois que cette disposition, souvent adoptée pour d’autres auteurs, est appliquée à Stendhal. L’usage, jusqu’à présent, voulait que l’on procédât à des regroupements qui, quelle que fût leur pertinence, n’avaient pas été voulus par l’écrivain, mais recueillaient plus ou moins fidèlement l’héritage de son premier éditeur. C’est ainsi, par exemple, que différents textes étaient rassemblés sous le titre de Chroniques italiennes – titre célèbre, mais qui recouvre des réalités bien différentes selon les cas : s’il a songé à réunir les histoires qu’il avait tirées de ses «manuscrits romains», Stendhal n’a jamais élaboré le sommaire d’un tel recueil… Dans les Œuvres romanesques complètes que propose la Pléiade ne figurera aucun recueil «factice». Chaque texte y est publié à sa date, de telle sorte que le parcours fictionnel de l’auteur d’Armance soit – enfin, donc – restitué dans sa continuité et dans sa logique.