Jules Verne devenu vieux a raconté son expérience de jeune Robinson. Quand sa yole fait eau puis « coule à pic », il se réfugie sur un îlot et songe aussitôt à bâtir une cabane, à pêcher, à faire du feu. Cela ne dure que le temps d’une marée. L’îlot ne se trouve pas au milieu de l’océan, mais dans l’estuaire de la Loire. Lorsque le naufragé regagne « le continent » – la rive droite du fleuve –, l’eau ne lui arrive qu’à la cheville.
L’histoire n’est peut-être que la séquelle des lectures de Verne : « Les Robinsons ont été les livres de mon enfance, et j’en ai gardé un impérissable souvenir. » On y croira pourtant si, comme lui, et après avoir fait les mêmes lectures – le Robinson Crusoé de Defoe et Le Robinson suisse de Wyss –, on est fasciné par ce monde neuf, ouverture large et soudaine du champ des possibles, qu’est l’île déserte, lieu à reconnaître, aménager, exploiter, défendre – puis à quitter, grandi, changé, pour regagner le continent et y vivre d’une vie nouvelle. Le premier essai de Verne sur ce thème aux variations infinies – « il faut absolument que j’en fasse un » – s’intitulait L’Oncle Robinson. Hetzel se montra sévère (mais juste) : l’auteur remisa son manuscrit, non sans en utiliser des éléments dans L’Île mystérieuse (1875 ; déjà disponible dans la Pléiade). Il reviendrait à trois reprises sur le sujet.
Avec L’École des Robinsons (1882), la fantaisie s’invite dans le drame et la fiction dans la fiction. Le duo formé du jeune Godfrey et de son professeur de maintien (!) passe de bonne foi par toutes les étapes obligées du genre, quête d’un logis, épreuve de la faim, cueillette, chasse, pêche, jusqu’à l’accueil d’un Vendredi, l’étrange Caréfinotu. Mais le naufrage ne devait rien à la cruauté des éléments : il avait été fomenté à des fi ns de formation. L’École est la déconstruction joueuse du Crusoé originel, une « métarobinsonnade ».
Dans Deux ans de vacances (1888), le souvenir des textes canoniques, Defoe et Wyss, demeure présent ; le personnage nommé Service ne jure que par eux. Cette fois, les naufragés sont les élèves d’un pensionnat. Ils s’organisent, se déchirent, se retrouvent et se ressoudent face à une menace extérieure, l’arrivée de malfaiteurs qui – cela n’échappe pas à Service – sont « comme qui dirait les sauvages de Robinson ». Bien que William Golding ne l’ait jamais reconnu, Sa Majesté des mouches se souviendra de la force de ce roman.
Puis Verne revient à Wyss, pour donner au Robinson suisse une continuation, Seconde patrie (1900), qu’autonomise un art consommé de la construction. Les circonstances reconduisent certains des Robinsons de Wyss dans l’île qui les avait une première fois accueillis et où les attendent de nouvelles péripéties. L’aventure y gagne ce qu’y perd la vraisemblance. Livre né d’un livre, entre héritage et invention, ce roman inactuel – c’est aussi le récit d’une colonisation heureuse – illustre la fécondité du genre au tournant du XXe siècle. Plus près de nous, William Golding, Michel Tournier ou Patrick Chamoiseau en apporteront de nouvelles preuves.
La vie sauvage
Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Point de Vue (Du 17 au 23 avril 2024)
« De quoi redonner à chaque lecteur le goût de l'aventure… »
Robinsonnades en cascade
Jean-Didier Wagneur, Libération (Du 23 au 24 mars 2024)
« Verne joue avec ses îles comme un oulipien avec les règles du récit. [...] Verne se plaît à composer une fantaisie. Il pastiche à loisir et prend à contrepied les attendus du genre non sans réserver une surprise ultime, très moderne et presque digne d'un tour de music-hall. »
Voyages extraordinaires. L'École des Robinsons et autres romans
Hocine Bouhadjera, Actualitte.com (15 mars 2024)
« À posséder absolument pour tout vernien qui se respecte. »
« L'École des Robinsons et autres romans », Jules Verne
Philippe Chevilley, Les Echos Week-end (Du 23 au 24 février 2024)
« Les trois ouvrages réunis dans la Pléiade [...] sont une invitation à la fantaisie et à l'aventure, loin des fusées vers la Lune. »