En 313, Constantin, empereur chrétien, accorde la liberté de culte à toutes les religions ; nul ne sera plus contraint de vénérer l’empereur à l’égal d’un dieu. En 391-392, Théodose, empereur très chrétien, interdit les cultes païens. Le monde a basculé. Ce qui est en cause, ce ne sont pas seulement des croyances et des cultes, mais toute une civilisation fondée sur la paideia – la culture, les mœurs et les pratiques de la Rome éternelle. C’est en ce sens que les historiens réunis dans ce volume peuvent être dits païens : nourris à l’antique paideia, ils en partagent toujours les valeurs. Ils écrivent entre 360 et 394 (avant 408 pour l’auteur des Vies et mœurs des empereurs) sous les règnes de princes chrétiens, occupent des postes importants, proches du pouvoir, et, par force, s’avancent masqués.
De belles carrières restent ouvertes à ces lettrés, émules de Tite-Live, de Suétone ou de Tacite ; les empereurs chrétiens ne peuvent se passer d’eux. Les lois de 391-392 ne les réduisent pas au silence, mais ils sont assez lucides pour comprendre jusqu’où ils peuvent aller dans leur éloge du passé. La plupart évitent prudemment de parler du christianisme. L’Histoire Auguste, elle, s’autorise des moqueries, des parodies des Évangiles ou des Pères de l’Église, des allusions plus ou moins voilées. Le livre – trente vies d’empereurs, à partir d’Hadrien – est truffé d’indices révélant à des lecteurs choisis le fond de la pensée de son auteur, écrivain dissimulé, semet ridente, « souriant dans son for intérieur ».
Cet auteur pourrait passer pour le digne successeur du Suétone des Douze Césars. Il a du goût pour les frivolités d’alcôve, les anecdotes à portée moralisante, les prodiges et les oracles. Mais il se révèle en outre particulièrement imaginatif. L’Histoire Auguste n’est pas une œuvre historique au sens moderne du terme : elle enrichit son récit par tous les moyens qu’offre l’écriture romanesque, jusqu’à effacer les frontières entre histoire et fiction. C’est l’occasion de savoureux morceaux de bravoure, d’autant plus soignés littérairement qu’ils sont historiquement douteux.
Histoire sans autorité donc, mais pleine de vie et finalement de vérité : une œuvre personnelle et sensible sur l’âge d’or du paganisme et sur son déclin. « Une effroyable odeur d’humanité monte de ce livre », disait Marguerite Yourcenar, qui y avait trouvé la matière des Mémoires d’Hadrien. Cette humanité en désarroi, c’est celle des païens qui assistent impuissants à la dissolution du monde auquel ils tiennent et appartiennent. À la bataille de la Rivière froide, en 394, les armées de Théodose affrontent l’usurpateur Eugène et le général Arbogast, soutenus par le parti païen. Théodose vainqueur, certains vaincus se donnent la mort. Parmi eux, Nicomaque Flavien senior, aristocrate, préfet du prétoire d’Italie, probable auteur de l’énigmatique Histoire Auguste.
Les païens de l'Histoire
Laurent Lemire, L'Obs (22 décembre 2022-4 janvier 2023)
«Stéphane Ratti nous révèle tous ces textes dans des traductions inédites et propose dans une édition grand public cette “Histoire Auguste” qui occupe la plus grande place de ce livre superbement édité.»
Histoire Auguste et autres historiens païens
Textes traduits, présentés et annotés par Stéphane Ratti
Jean-Louis Voisin, Le Figaro Histoire ( Décembre 2022- Janvier 2023)
« Lisez sa traduction comme un conte historique. Elle est parfaite pour les soirées d'automne et ses notes érudites poussent à l'admiration.»
SEMET RIDENTE
Christophe Ono-Dit-Biot, Le Point (17 novembre 2022)
« “Souriant dans son for intérieur”. Une expression à retenir. Elle peut sauver la vie quand la surveillance règne et qu'il faut avancer masqué face à un nouveau pouvoir. Ce fut le cas pour de nombreux historiens romains après 391, lorsque Théodose interdit les cultes païens. Un sacré bouleversement. Pas tant à cause de la mort, décrétée par un homme, fût-il empereur, des anciens dieux que de la disparition programmée de la paideia, l'art d'éduquer à l'antique avec Homère sous le bras et l'ironie dans le cœur, et donc de transmettre une civilisation faite d'érudition mordante et de liberté d'être. C'est cette liberté en voie de disparition qui jaillit d'Histoire Auguste et autres historiens païens (« La Pléiade», 1328 p., 65 €, édition et lumineuse préface de Stéphane Ratti), précieux volume contenant donc ce célèbre et mystérieux recueil de trente vies d'empereurs romains, racontées avec une verve incroyable par un historien, alors sous anonymat : l'Histoire Auguste. On dit que Marguerite Yourcenar, qui y avait trouvé le sujet des Mémoires d'Hadrien, eut ce mot après l'avoir lu :“Une effroyable odeur d'humanité monte de ce livre.” Ne vous contentez pas de le humez !»