En 1971, la Pléiade publiait « Contre Sainte-Beuve » précédé de « Pastiches et mélanges » et suivi de « Essais et articles ». L'édition qui paraît aujourd'hui est dotée d'un sommaire considérablement enrichi et d'un titre qui témoigne de ses intentions. Exit le triple intitulé dominé par le massif central du Contre Sainte-Beuve. Choisir le titre Essais, c’est reconnaître à la fois l’unité et l’incertitude générique de l’œuvre de Proust.
Comme le souligne Antoine Compagnon, Proust fut toujours partagé, dans son désir d’écrire, entre narration et réflexion. Son roman est riche de développements critiques. Son œuvre de réflexion connaît des développements romanesques. Son projet sur Sainte-Beuve, il le qualifie d’« essai », terme qui s’appliquait à des textes à la composition très libre. À preuve, la définition que le critique du Figaro, André Beaunier, donne de « Sur la lecture », préface de Proust à Sésame et les lys de Ruskin (1906) : « un essai original, et délicieux, émouvant, plaisant, gai parmi les larmes, mélancolique avec discrétion ; les souvenirs s’y mêlent aux rêveries, la fantaisie à la réalité, comme dans l’âme d’un philosophe très sensible ». Des lignes qui annoncent l’expérience unique qu’offre la lecture des essais de Proust.
Incertitude générique, donc : les Pastiches et mélanges reprennent en 1919 « Sur la lecture » et d’autres essais essentiels, mais aussi les pastiches de « l’affaire Lemoine », cette « critique en action » dans laquelle le récit a toute sa place. Et Contre Sainte-Beuve est certes un essai, mais narratif : c’est au cours d’une conversation avec sa mère que l’auteur entend critiquer la méthode de Sainte-Beuve. Mais voici que surgissent des personnages, Swann, les Guermantes, un Montargis au profil de Saint-Loup, un Guercy qui annonce Charlus. Ces développements romanesques constituent un nouveau départ pour le roman que l’on sait. Ils signent aussi la fin du projet Sainte-Beuve et expliquent pourquoi Contre Sainte-Beuve n’existe que dans l’idée qu’on s’en fait. Dans sa première édition (1954), le livre comportait des chapitres romanesques. Dans la seconde (1971), seules étaient retenues les pages critiques. On propose ici un « Dossier du Contre Sainte-Beuve », titre et dispositif plus conformes aux manuscrits conservés.
Quant aux nombreux essais – critiques, études, chroniques, entretiens ou amples analyses –, ici plus nombreux que jamais, parus dans les revues et journaux du temps et non recueillis par Proust, ou encore révélés après sa mort, ils témoignent de l’ambition littéraire la plus haute et sont l’accompagnement obligé de la Recherche.
Proust sur la piste de la "Recherche"
Jean-Pierre Rioux, La Croix (21 avril 2022)
« Près de 2 000 pages dont, noblesse oblige, environ 700 d’appareil critique : c’est une « Pléiade » comme on les aime, flâneuse et érudite, lourde et enchanteresse à la fois.»
Proust à la recherche de la "Recherche"
Parmi les parutions auxquelles donne lieu le centenaire de la mort de Marcel Proust, une imposante « Pléiade » réunit sous le titre « Essais » les premiers écrits et l’œuvre critique de l’écrivain. En son cœur, le « Dossier du Contre Sainte-Beuve », témoin du grand roman en cours d’élaboration
Jean-Louis Jeannelle, Le Monde des Livres (22 avril 2022)
« Tout change aujourd’hui avec cette nouvelle et imposante « Pléiade » où se trouve réunie toute l’œuvre critique de Proust jusqu’alors dispersée dans les marges de la Recherche : premiers écrits et articles de revues ou de périodiques (en particulier Le Figaro) ; nombreux pastiches, grâce auxquels Proust a peu à peu trouvé son propre style ; entretiens et préfaces. Apparaît ainsi clairement le rôle joué par l’écrivain dans l’institutionnalisation du genre de l’essai sous ses multiples formes.»
LE PROUST RETROUVÉ
Antoine Compagnon et son équipe reconstituent, dans la « Pléiade », la partie non-fiction de l’œuvre de Marcel Proust.
Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo ( avril 2022)
« Le proustologue éminent Antoine Compagnon et son équipe (Christophe Pradeau et Matthieu Vernet) ont donc entrepris un vaste chantier archéologique pour la « Pléiade » : rassembler et refondre en un volume toute la non-fiction proustienne, chronologiquement, dans son intégrité, en y glissant le maximum de textes inédits, notamment des articles, études, interviews qui n’avaient jamais été repris dans les volumes de chroniques ou de mélanges procurés par les uns ou les autres. S’y manifeste toute la cohérence de la démarche de Proust, on y admire son travail de forçat, lui qui passait pour un dandy rentier dilettante, et sa formidable diversité. En 1905, à propos d’un recueil en projet, il annonçait « un volume de diverses choses ». Le voici.»