Crime et châtiment est le premier des cinq grands chefs-d'œuvre qui rendront Dostoïevski immortel. Il ne l'écrivit qu'en 1865, mais il en
avait eu la première idée douze ans plus tôt, alors qu'il était au bagne. Il songeait alors à un roman dans lequel un de ces êtres forts, dont l'existence l'étonnait, qui ignorent les bornes du bien et du mal, écrirait sa confession.
On sait que Dostoïevski, condamné à mort, fut grâcié et fit quatre ans de bagne. Cette terrible expérience, si elle eut une influence sur toute son œuvre, n'est jamais aussi manifeste que dans les textes qu'on a réunis dans ce volume. On y trouvera, en effet, outre Crime et châtiment : le Journal de Raskolnikov, Les Carnets de Crime et châtiment et Souvenirs de la Maison des Morts, ouvrage que Tolstoï qualifait de « plus beau livre de toute la littérature nouvelle, Pouchkine inclus ».
Dans Les Frères Karamazov, Dostoïevski a donné le résumé de sa carrière et de sa pensée. On y retrouve l'opposition père et fils de L'Adolescent, le duel de l'athéisme et de la sainteté des Possédés, le schéma de L'Idiot, avec le crime à la base et l'entrevue dramatique des deux rivales ; enfin et surtout l'un des frères, Aliocha, est la reprise du prince Mychkine : il s'appelait «l'Idiot» dans Ies brouillons.
Il semble même que Dostoïevski ait voulu exprimer dans les trois frères les trois aspects de sa personnalité ou les trois étapes de sa vie : Dimitri le schillérien rappelle sa période romantique, terminée aussi par le bagne ; Ivan, les années où il était près de remplacer la foi chrétienne par le socialisme athée ; Aliocha, son aboutissement, le retour au peuple russe et à l'orthodoxie.
Sous quelque angle qu'on les considère, Les Frères Karamazov sont un microcosme aux richesses inépuisables, le chef-d'œuvre peut-être de Dostoïevski.