Robespierre a clairement averti les écrivains de son temps : «Qu'avons-nous besoin de ces hommes qui n'ont fait que des livres? Il nous faut des patriotes qui se soient exercés dans les révolutions, qui aient combattu corps à corps le despotisme.» Dès 1789, en effet, le législateur prend le pas sur l'écrivain. La fiction le cède à l'éloquence, la référence aux Lumières disparaît progressivement, la scène se fait tribune ; non pas enterré, mais rendu secondaire, le roman se maintient, en s'adaptant à une actualité tourmentée.
Quand éclate la Révolution, alors que quelques hommes de lettres croient pouvoir résigner leur qualité pour s'aventurer dans une expérience qui bien souvent les conduira à leur fin, et que d'autres assument – jusqu'au sacrifice – leur rôle d'écrivain, le plus grand nombre subit la situation : l'adhésion aux temps nouveaux ne s'accompagne que rarement d'une engagement résolu dans l'action révolutionnaire. Ceux qui, souhaitant une réforme des institutions, avaient accueilli avec enthousiasme les débuts de l'événement, sont bientôt conscients de ses excès. Après les massacres de septembre, les hommes de lettres se dérobent et s'absentent. Olympe de Gouge ou André Chénier sont assez imprudents pour publier leur opinion sur les principaux acteurs du moment. On sait leur sort.
Les écrivains de la Révolution française sont, à la vérité, les victimes d'un prodigieux malentendu : amoureux de la liberté, ils ne recherchent pas cette fraternité rendue obligatoire par les sans-culottes mais demeurent attachés à la primauté des affinités électives dans les rapports humains. Si, en 1789, la Révolution était pour eux un rêve lyrique, le radicalisme jacobin les réveille en sursaut. Chamfort et Condorcet ne trouvent que dans le suicide le moyen d'échapper au Tribunal révolutionnaire ; Florian et Louvet meurent après Thermidor, moralement épuisés par les épreuves subies.
La Révolution n'est pourtant pas le tombeau des lettres : l'éloquence et la presse nous laissent des textes dont la lecture s'impose encore. Plus généralement, la dernière décennie du XVIIIe siècle donne naissance à une littérature dont la richesse est méconnue ; le tableau qu'en dresse Pierre Gascar devrait contribuer à sa découverte.