«Gérard de Nerval, qui avait un modeste mais authentique talent de dessinateur, a entretenu des relations amicales avec des artistes : Célestin Nanteuil, Camille Rogier, Auguste de Châtillon, surtout à l'époque du Doyenné (1835-1836). Pourtant, on a peu d'images véridiques de lui.
On voit en 1831, dans le médaillon de Jehan Duseigneur, le Gérard de vingt-trois ans décrit par Théophile Gautier. Si l'on fait abstraction du daguerréotype de Legros, on ne retrouve Nerval qu'aux dernières semaines du crépuscule de sa vie, en décembre 1854 ou janvier 1855, dans les si émouvantes photographies prises par Nadar. Entre le médaillon et les photographies s'inscrit une vie cruelle, d'amours rêvées, de misère, de voyages, d'internements et d'une activité littéraire inlassable.
Il est caractéristique que de Nerval nous ayons plus de caricatures que de vrais portraits. En 1839, Granville, dans la Grande course au clocher académique, le montre, petit, portant la canne à pommeau de Balzac – "un fou" de cour avec sa marotte, dirait-on, un bouffon de la suite du roi du roman dont le chef est coiffé d'une couronne. En 1852, Nadar, qui l'aime bien, qui a prouvé qu'il l'aimait, le présente, déjà presque chauve, dans Le Journal pour rire, avec ce commentaire qui suit une liste d'œuvres : "Gérard de Nerval est modeste, naïf, bienveillant, affectueux, et voyageur comme l'hirondelle. Le seul défaut que je connaisse à Gérard, c'est d'affirmer qu'il a vu des sirènes dans ses voyages et de raconter comment elles sont faites. On n'est pas parfait!" [...] On voit à quoi tendent ces images ainsi que trop d'anecdotes : Gérard est un être étrange, marginal, inoffensif, pour qui l'on éprouve une affection un peu moqueuse.
Écrite ou dessinée, cette image dissimule la vraie personnalité de Nerval et recouvre l'œuvre dont elle fausse l'interprétation.
Mais l'iconographie, rare quant à ses portraits, absente pour son père et sa mère, est riche quant aux lieux qu'elle évoque et qui sont liés à l'existence et à la création littéraire de ce grand voyageur : on le suit de Paris et de Mortefontaine à Strasbourg, à Bruxelles, aux Pays-Bas, surtout dans le Proche-Orient – Le Caire ou Constantinople – et dans cette Allemagne qu'il connaît peut-être mieux que la France, pour l'avoir sillonnée de Baden-Baden et de Francfort à Leipzig et à Weimar.
Il aimait, comme il le dit, à prendre des paysages, tel un peintre de plein air. Cet album lui rend ce qu'il nous a donné à voir.»
Claude Pichois.