«Le format de la Pléiade est d'une ordonnance militaire – et les couleurs des siècles, comme celles des régiments, n'admettent pas l'injustice. Autant de galons sur chacune de ces manches d'uniformes qui se succèdent sur les bibliothèques et sont l'intendant militaire Stendhal, le général de Laclos, l'historiographe Racine, les canonniers Apollinaire et Courier, le mousquetaire Saint-Simon ; même des civils impénitents comme La Fontaine ou Villon se trouvent bien de ce voisinage. Les voilà enrôlés dans le Royal-Déserteur, corps d'élite qui assure la moitié de nos victoires.
Cette unité, cette permanence, cette discipline de la littérature n'interdisent pas la curiosité. En soulevant ces manches galonnées apparaissent des visages très différents et le Dieu de l'Écriture a vraiment pris les masques les plus étranges. Voici ces visages, voici ces masques, quelque chose comme le bestiaire de la littérature universelle, avec des notices qu'on aurait aimé confier à M. de Buffon : "Le Casanova appartient à l'espèce des aigles dont il a l'envergure, mais il a plus d'impudence que de courage et plus de vivacité que de force" ou bien : "Le Vigny est un échassier de nos provinces qui se nourrit de vase et de mélancolie". Ou encore : "L'Homère est un animal fabuleux que les Grecs vénéraient. Il tenait du dragon, du dauphin, du cheval et du phoenix". [...]
De temps des grands Empires de sable et des dieux géants, nous sont restées des pierres couvertes de signes, dont nous avons appris le langage. Les petites briques de la Pléiade sont ainsi jetées dans le monde pour traverser les âges. Mais une seule vie, dans le fracas des jours, réclame aussi des témoignages. Et Montaigne qui fut à la guerre avec nous, et Retz qui fut la fièvre de l'adolescence, et Proust qui nous permit de franchir les nuits, et Balzac, et Dickens, et Platon, font aussi que nous aurons vécu, entre ces signes, entre ces pages.»
Roger Nimier.