«Moins de quinze ans après le décès de l'écrivain, il est trop tôt pour tenter de faire un bilan des images que Louis-Ferdinand Céline a données de lui-même. Son temps en a imposé d'autres ; ses familiers ont les leurs, prises et parfois conservées à son insu. Leur réunion et leur commentaire exigent un recul que la dispersion des documents ne facilite pas. Les souvenirs tranchés des contemporains créent bien des perspectives ; les contradictions dont les faits portent témoignage en ouvrent d'autres. Dès lors, tout choix implique une interprétation. Faute de pouvoir dessiner un caractère, ce volume tend à suivre les esquisses successives, et toutes relatives, d'un comportement.
Peu d'écrivains ont connu d'emblée, comme Louis-Ferdinand Céline, les fastes et les ombres de la légende. Les années aidant et au fil de passions violentes, elle s'est confondue avec le statut de l'homme de lettres. Si tout chercheur devient alors iconoclaste aux yeux de l'amitié, de la mémoire et des mythes, l'absence de chronologie célinienne continue imposait un devoir d'information. La photographie y a ajouté la souplesse de son rythme, ses digressions et ses pauses. Même symboliques, ces instantanés d'un "fauve" de notre époque n'excluent pas plus la précision du détail que la rigueur de l'enchaînement.
Difficilement dissociable de l'exercice de sa vie, la pratique artistique de Louis-Ferdiannd Céline mérite mieux qu'une curiosité. Sous les audaces et le défi, sa démarche reste à coup sûr l'une des plus "classiques". Aux humeurs, qui ont suscité portraits flattés et caricatures, doit naturellement succéder l'inventaire d'images plus quotidiennes. Diverses sans être exhaustives, elles offrent les facettes d'un écrivain qui affirma : "Je suis contre l'iconographie. Je suis mahométan. Pas de photos de moi... Je n'aime pas ça!" – comme si sa vérité était vraiment ailleurs.
La trame de cet album en noir et blanc est donc faite de gestes. Vivant de leur propre contraste, ils ont la cohérence de leur succession. Peu à peu, l'histoire particulière d'un homme s'y défait ; l'anecdote en s'usant laisse voir, et comme autrement, les soixante premières années du siècle. Pour les avoir épousées jusque dans leur outrance, Louis-Ferdinand Céline n'a pas distingué son œuvre romanesque et pamphlétaire des événements. Leur somme, élaborée page après page, paraît avoir autant constitué le théâtre que la mesure d'un cri. En composant cette iconographie, c'est l'envers individuel du décor que l'on invite à voir.»
Jean-Pierre Dauphin.