La Pléaide

… le chemin n’est pas rectiligne, et bien des éditeurs de textes se soucient peu de retracer l’existence de leur auteur préféré. Le hasard fait que se rencontrent ces temps-ci, dans la collection «NRF Biographies», deux grands éditeurs de la Pléiade : Mireille Huchon, qui a procuré en 1994 l’édition de référence des Œuvres complètes de Rabelais, et Henri Godard, dont nul n’ignore qu’il est l’éditeur de Céline (et de Giono, Queneau, Malraux).

Rabelais, Céline : deux écrivains dont, d’une manière ou d’une autre, l’œuvre reflète la vie. Mireille Huchon et Henri Godard ont arpenté, en d’incessants aller-retour, le chemin qui mène des livres à la vie et de la vie aux livres. Leurs ouvrages relèguent au magasin des accessoires la vieille dichotomie « l’homme et l’œuvre » et contribuent de façon décisive au renouvellement du genre de la biographie.

Il a inventé une manière nouvelle d’écrire le français. Son Voyage au bout de la nuit a été ressenti comme une révolution dans la manière de dire, par le roman, l’expérience humaine. C’est son œuvre de polémiste qui devait plus tard lui aliéner nombre de lecteurs. Mais peut-on dissocier le génie de l’écrivain des violences de l’homme ? Pour Henri Godard les deux sont inséparables. Cette biographie se propose de retracer le chemin de la vie à l’œuvre, tout comme elle s’efforce de pénétrer le secret de cette existence à l’épreuve du travail de l’écriture. Elle part à la découverte des vérités contradictoires de Céline, que restitue par fragments, de l’enfance à la mort, une abondante correspondance récemment réunie. C’est une figure plus intime, plus complexe, plus déchirée aussi, que découvre le lecteur. Cet itinéraire hors du commun échappe décidément aux simplifications péremptoires.

Mais c’est surtout dans son œuvre marquée par les fureurs du siècle, ou dans ses liens avec les humanistes et les grands du royaume, que se laisse découvrir le véritable Rabelais. Mireille Huchon fait revivre le destin exceptionnel d’un homme engagé dans les affaires du temps et en quête de tous les savoirs. Juriste, médecin, mathématicien, sans doute alchimiste, poète, romancier, éditeur, très impliqué dans le travail de l’imprimerie, successivement franciscain, bénédictin, curé, à la fois humaniste et espion, commensal de prélats voluptueux et contempteur des vices de la papauté, cet «Eschyle de la mangeaille» devint un maître de la satire en puisant dans le réservoir de l’apparente trivialité des choses. C’est pourtant une œuvre aux enjeux philosophiques et moraux longuement médités, et une réflexion exceptionnelle sur la langue française, que Rabelais invite à décrypter sous les rires et les éclats de ses personnages.

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